Marie-Estelle
Dupont

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Lettre à mes amis qui divorcent

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Ne soyez pas tristes que ce soit fini. Soyez heureux que ce soit arrivé.

Même si vous vous en voulez d’avoir fait un mauvais choix même si vous l’impression d’en sortir amochés et amers. Vous comprendrez après coup pourquoi il fallait passer par cette  relation-là. Et ce qu’elle vous a apporté, même si elle vous a pris la confiance en vous ou en l’autre, la joie et la beauté. Ça ne va pas durer. Vous allez vous réparer pour devenir une meilleure version de vous. Et faire un mariage intérieur pour éviter de chercher au dehors ce qui vous manque intrinsèquement. Alors vous irez vers l’autre par désir, pas par nécessité, libre d’aimer sans crainte du rejet, car assez fort au dedans pour demeurer enraciné. Et de même que la peur créait des murs, votre désir va créer des fenêtres. Le divorce est un permis de démolir qu’on met du temps à obtenir parfois parce que l’amour se prend les pieds dans la possessivité et le confort. Mais il faut démolir pour reconstruire. C’est cruel. Mais c’est vrai. Ce n’est pas immoral. C’est un travail qui s’impose quand le couple est une impasse. Je ne le souhaite à personne surtout pas à ceux que j’aime. Mais quand cela doit arriver, il ne faut pas se juger. Car même si de nos jours, les enfants de divorcés restent bien au milieu de la courbe de Gauss (un mariage sur deux se termine par un divorce à Paris, cela questionne sur l’intêret de faire un travail sur soi avant de s’engager, pour choisir plutôt que se laisser choisir avec la complicité de notre inconscient), aucune statistique n’est une consolation devant l’écroulement de son intimité.

J’arrive à l’âge où je vois mes amis divorcer. La plupart sont un peu plus âgés que moi, une dizaine d’années environ. Certains sont des amis de longue date, d’autres de ma nouvelle vie. Et ils se séparent. Ils traversent cette guerre si particulière qui consiste à haïr celui ou celle avec qui on a fait l‘amour des années durant. Je suis passée par là, il y a cinq ans. Quand on a passé 15 ans avec un autre rencontré à l’école ou sur les bancs de la fac, la fin du chapitre est lourde d’enjeux bien plus que financiers. Il faut décoller deux corps et deux psychismes, deux emplois du temps, déconstruire une cellule sociale, et à force de faire deu peau-à-peau, les inconscients se mélangent. Les amis se dispersent, gênés, ou prennent parti, et ça nous casse les pieds. On navigue à vue, on nage comme on peut dans un torrent d’émotions totalement imprévues.C’est la mue, on perd le confort de l’assurance anti-solitude que garantissait le contrat de mariage. Le contrat est déchiré mais le lien affectif est toujours là, écorché vif. Celle qu’on a courtisée devient une ennemie dont on guette les stratégies par avocat interposés. Nos deux prénoms formaient une sorte d’entité qui avait sa vie propre. Les proches sont stupéfaits “Vous ? Mais non c’est impossible on vous a toujours connus ensemble. Vous êtes un modèle ! »

Il faut prévenir les familles, la poste, la maîtresse d’école, le prof de judo qui ne sait plus qui est le père, le baby sitter ou le beau-père, les impôts se trompent de numéro fiscal, EDF se prend les pieds dans le tapis, Amazon ignore votre nom de jeune fille, les draps de mamie sont passés par la fenêtre dans un moment d’irritation, l‘armoire IKEA finira aux encombrants elle a trop ton odeur.

Je n’aime pas quand ça crie mais il faut admettre que même en étant plein de sang-froid les deux partis vont être servis.

Les invitations pleuvent encore et on tire au sort qui de nous deux ira au mariage de Pauline et au baptême d’Hector. Et puis il y a l’abomination des réseaux sociaux. On prend un pseudo sur Facebook pour disparaître illico, car la séparation réveille la jalousie et l’autre met son nez partout. Il faut changer les codes, les mots de passe, parce qu’on avait d’un commun accord mis partout le surnom de junior collé à son année de naissance. Theo2010 doit ouvrir bien des boites de pandore.

Bref, c’est la fin d’un monde. On n’est plus un pestiféré mais on est toujours mal à l’aise, avec ce passé qui colle à la peau.

Entre ceux qui jugent, ceux qui disparaissent parce que la douleur les incommode et que le vernis s’effrite, et ceux qui vous disent « il ne te méritait pas », ou « les psy, c’est pas fait pour se marier », la paix se trouve en dehors de Paris. Vous allez aimer vos timberland, vos lunettes de soleil, et les plages normandes, c’est du garanti. La BO de Good Morning England branchée sur l’allume cigare, il va falloir quelques kilomètres de liberté conditionnée pour commencer à s’apaiser. Et les autres, les proches semblent avoir une inertie de la conscience face à la séparation. « c’est une crise, c’est passager, laissez vous du temps, vous allez vous remettre ensembles ». Quand ça projette, ça projette pas avec le dos de la cuiller. Pourtant il est là, ce moment où l’un prend la décision. Et se dit “game over”. “ Arrêtons avant de se détester”.

Et évidemment on va se détester. Reprocher à l’autre tout ce pour quoi on l’a choisi. Sa rigueur devient rigidité, sa souplesse, indécision, sa pugnacité, entêtement. Une séparation  dure trois ans. Beigbeder dit que c’est l’amour mais non l’amour ne s’inscrit pas dans le temps. Il est et se transforme ou n’est pas. Il peut se transformer en amitié, il peut se transformer en rancune aussi. Mais souvent il n’est pas, une fois que les projections et l’idéalisation ont été élucidées.

On dit que l’amour est compliqué pour fuir la réalité mais l‘amour est difficile pas compliqué. Il est cru, il est ou il n’est pas il faut s’y résoudre. On se fabrique des conflits avec notre mental mais l’amour est énergie.

Mais il ne dure pas parce qu’il ne naît pas. L’amour est déjà là mais on ne le voit pas. Ou bien il n‘est pas mais on se raconte des bobards et on confond déterminisme psychologique, critères cochés et amour.

Défaire un couple c’est comme défaire une grossesse. Après l’accouchement il y a les bonus, ce dont personne ne parle, les tranchées, la transition, la récupération. Et ça personne ne vous le dit. On vous parle des papiers à remplir et des enfants à épargner mais de votre cerveau qui doit se déshabiller de l’autre, nenni. Redevenir Marie et plus la femme de Jean. Redevenir Thomas, et plus le mec de Solange.

Une fois la séparation décidée puis annoncée il y a un temps plus ou moins long, de concrétisation. Se séparer prend du temps. Entre le moment où l‘autre s’en va enfin après des mois de guerre froide, de nuits étranges sur le canapé du salon, de gestes tendres sans raison, si ce n’est l’ambivalence qui nous précède comme notre ombre, si ce n’est la nostalgie que réveille chez l’humain toute angoisse de séparation, la même qui fait prendre l’attachement pour de l’amour et l’habitude pour de la profondeur,  il faut encore des mois pour se nettoyer l’un de l’autre. L’empreinte énergétique est lourde après mille et une nuits d’ amour.

Faire le deuil du moi conjugal. Ce nous que certaines personnes qui ont du mal à s’affirmer se mettent à employer frénétiquement à peine les fiançailles prononcées. Nous nous nous. Comme si être deux était un paratonnerre social, une immunité face au jugement d’autrui. Nous s’est cassé la gueule, et Capri c’est fini. L’ego prend un coup, l’économie affective aussi. Le capital tendresse est comme hypothéqué. On devient hérisson pendant une  dizaine de saisons. Il faut tout mettre par écrit, désapprendre à compter sur l’oral. Préciser les lieux où les enfants sont déposés, et faire son testament, parce que l’autre est devenu un potentiel ennemi, tout en faisant preuve de respect devant les petits. Démêler le père et le mari, la déception et la raison. On va encore se faire des illusions, c’est-à-dire vivre en projetant des morceaux du passé.

Il faut trouver  son rythme avec deux maisons quand il y a des enfants et un langage diplomatique aussi. Passer sans attendre de la déchirure à la cordialité. Et puis trois ans après, si l’on a fait les choses avec un tout petit peu de respect et qu’il demeure un soupçon d’honnêteté intellectuelle il y a une nouvelle relation. On est séparés mais on est d’anciens conjoints encore parents de la même progéniture. Pas de copinage Facebook ou de pseudo amitié qui mettrait les nouveaux conjoints mal à l’aise et les enfants dans la confusion. Mais une capacité à se parler  avec simplicité pour éviter que le JAF tranche et déchire la fratrie.

J’ai cru en divorçant que nous n’y parviendrions jamais. Je disais bienveillance il répondait “Tu te fous de ma gueule”. J’avais blessé son cœur et son ego, il m’aimait et pour moi la cloche avait sonné alors qu’en apparence tout fonctionnait. Je ne voulais pas le détester seulement ne plus vivre avec lui. Alors j’ai patienté et je n’ai pas lâché. Je n’ai pas lâché ma douceur entêtée parce que je me mettais à sa place et puis je refuse par respect pour moi- même et pour mon passé de haïr quelqu’un que j’ai aimé, choyé écouté. D’ailleurs, t’ai-je assez bien écouté ? 5 ans après, je ressens de la gratitude pour ce que l’on a eu, et pas seulement un fils. Cet apprentissage de la vie à deux que nous avons fait à notre sauce, joyeusement. La fameuse méthode « pas de méthode » qui nous a réussi quatorze années durant. Tu en avais du savoir vivre. Je t’ai sans doute aimé plus avec mes actes qu’ avec des émotions, j’étais une traumatisée de l’affect mais nous avons plutôt joyeusement passé la jeunesse j’ai l’impression.

Quand on a passé quinze ans avec quelqu’un, qu’on a fini de grandir ensemble, qu’on a eu notre premier appartement, notre premier enfant, notre premier salaire, nos vacances, nos sorties, nos siestes, nos biberons, nos nuits intimes, nos complicités, nos désaccords haïr l’autre est un reniement de Soi.

J’ai envie de vous dire vous mes amis de 45 ans qui vivez la crise du milieu de vie avec tous ces séismes personnels, vous qui vivez des situations à la fois si douloureuses si proches et si différentes, quels que soient les motifs, quels que soient les points de non-retour et les raisons parfois très justifiées de haïr celle ou celui qui a trahi, abusé, détruit, ou simplement déçu et  indubitablement merdé, soyez en paix avec vous-mêmes. Ne faites pas trop monter la sauce de l’affect. Soyez calme et déterminé dans la séparation et profitez-en pour consulter et parler avec votre colère, votre chagrin, vos déceptions. Un deuil en réveille d’autres, soyez le visiteur de vos angoisses, elles vous le rendront en disparaissant. La guerre est à la mesure de la déception. Et la déception à la mesure des attentes. Si vous attendiez beaucoup de l’autre, vous allez beaucoup le faire chier. C’est humain. Mais c’est inutile. L’autre ne changera pas il était là pour vous faire prendre conscience de vous, pas pour vous rendre heureux et vous épargner la réalité.

Il faut laisser mourir ce qui doit mourir. Le constat pique un peu mais un divorce est une bien plus petite tragédie qu’un couple qui dure pour de mauvaises raisons et vend à ses enfants un mensonge quotidien emballé dans une comédie bon marché.

Vous allez retomber sur vos pattes. Et en attendant, profiter de tous les bénéfices secondaires à être célibataire. Les soirées à l’improviste avec des copains sans demander la permission de rentrer tard et de se lever en ayant mal aux cheveux. Les grasses mat quand ce n’est pas votre week-end de garde. Beaucoup moins de déjeuners de Noël chez Tante Machine et oncle Trucmuche, coupe sèche dans le TFO (temps familial obligatoire). Grève définitive de la blanquette chez belle maman. Les flirts inattendus, les week-ends en solo au bord de la mer, les dîners à pas d’heure avec un livre et un bout de fromage sans maquillage ni talon, assise en tailleur dans une chemise d’homme devant un film de Clint Eastwood avec un verre de pouilly à la main et du vernis pour vos doigts de pieds en liberté. Le nombre invraisemblable de rencontres amicales ou autres, que votre moi conjugal vous empêchait de faire parce c’était tjrs ce foutu nous qui faisait le check in. On est bien plus ouvert seul que dans l’autarcie de la fusion. Ces activités que vous allez tenter, ces changements de rythme que vous ne vous permettiez pas.

Deux amis exactement du même âge, presque jumeaux, divorcent en ce moment, parmi d’autres copains qui se séparent mais Nicolas et Vincent me décrivent exactement l’inverse. Pour l’un la solitude est inhabitable même si sa femme était dit-il un poison de dépendance jalouse et d’insatisfaction chronique, pour l’autre j’ai l’impression de voir un gamin en vacances fou de joie de pouvoir redécouvrir la liberté et d’en profiter pour se remettre en question.

Cela nous enseigne que pour le couple d’après, il faudra mettre ce respect du jardin secret au menu. On aime mieux et de façon plus subtile après un accident de parcours. Bien sûr les amours fous durent toute une vie parfois. Mais ce n’est pas parce que ce n’est pas votre cas qu’une immense histoire d’amour ne vous attend pas quelque part, seulement tout ce qui est immense se prépare, une grossesse, une guerre ou une union de tendresse. Et ce qui est immense a aussi le droit de prendre fin. C’est un traumatisme mais pour ouvrir sur du meilleur et tous les traumatismes ne sont pas des catastrophes, même si ce sont tous des vertiges identitaires.

Quelques mois de detox sentimentale sont sous des apparences de futilité, sorties, aventures sans lendemain, des mois de retrouvailles avec soi et d’enracinement. Une histoire qui se termine laisse place au bilan et on sort enrichi d’un amour. On s’aperçoit qu’on s’est aimés plutôt bien mais qu’on était trop différents ou bien qu’on s’est aimés n’importe comment. On comprend où le curseur était mal positionné et ce qui était une impasse. Ce qu’on a pas voulu voir à cause de schémas familiaux mal digérés.

Il n y a pas d’échec sentimental il n’y a que des expériences. On apprend tellement sur soi, que l’on quitte ou que l’on soit quitté. J’ai su ce que je ne voulais plus et ce que je voulais et ce dont j’étais capable aussi. C’est enthousiasmant à 35 ans de se dire je suis capable de donner tout ça à un homme ou encore je ne veux plus jamais permettre à l’autre de prendre ce pouvoir  sur mes décisions. Ou de reconnaître je n’ai aucune envie d’être en couple et tant pis si on me met la pression. Il faut accepter que l’hiver existe dans une existence humaine, qu’il prépare le printemps et que malgré ce que disent nos parents, nos amis qui projettent leur angoisse de solitude, non on n’a pas forcément envie de faire couple tout le temps. Et que l’avouer est plus honnête que le faire à moitié, car on fait souffrir celui qu’on a embarqué dans notre mensonge, parce que quand on n’a pas envie on ne se donne pas à 100%. Pourquoi se raconter des salades et utiliser l’autre, sa crédulité éventuellement,  comme un enthousiasme par procuration et lui renvoyer une molle indifférence d’un cynisme terrifiant ? Pourquoi défigurer le deux par un échange de bons procédés si ce n’est pour inscrire sur un livret de famille la preuve qu’on ne s’aime pas soi-même ?

Ce n’est pas un péché de n’avoir rien à donner. Quand on doit se réparer d’un traumatisme on n’a rien à donner parfois. foutez vous la paix et laissez vous en friche, le temps va vous réunifier même si sans son odeur vous vous sentez tout démantelé. Le manque n’est pas la fin de votre capacité d’aimer et d’être aimé.

Aucune séparation n’est totalement négative. Si vous n’aimez pas être seul vous allez apprendre et vous découvrirez à quel point c’est merveilleux.

Être seul est vraiment une chose merveilleuse. C’est la base pour être bien avec soi et avec l’autre. C’est un immense repos psychique. C’est la possibilité de rencontrer sa propre créativité et d’offrir ensuite à l’autre quelque chose de choisi et de propre, plutôt que lui balancer toutes nos névroses pas démêlées en espérant moins les sentir.

Et puis un jour sans s’y attendre  (sans quoi  on va le chercher et on répète un schéma pourri de peur d’être seul et on se fait avoir, comme une de mes amise récemment ) un jour on fait une rencontre comme on pensait que ce n’était plus possible. On fait parfois même plusieurs rencontres et on doit rechoisir en se dépouillant des schémas passés. Le delta de solitude était un lieu pour se régénérer, prendre pleinement sa plein place au centre de sa vie à soi… et accuillir convenablement cet autre ou ces autres là. Avec respect, bienveillance, d’abord, complicité ensuite, amour peut être un jour.

Et celui que vous serez – après avoir répété à vos copains au pub pendant des vendredis entiers « plus jamais toutes des sal… »- ou à vos copines en sortant d’un ciné “plus jamais tous des co…. égoïstes et lâches”, celui que vous serez quand vous rencontrerez quelqu’un qui changera subtilement votre rythme cardiaque sera un moi mûri et enrichi. Un moi qui saura sursauter de joie en retrouvant le visage de l’autre après le travail. Cultiver la gratitude et l’émerveillement. Vous ne serez pas prêt mais vous le reconnaîtrez comme celui avec qui il est possible d’avoir à nouveau envie de construire et de se projeter. Pendant trois ou quatre ans vous allez dire “ah non c est bon je suis vacciné là il m’a tellement soulée ce gros c…” et puis vous allez arrêter de rouspéter contre une conséquence de votre inconscient parce que l’univers va vous présenter de belles personnes à nouveau après une pluie de candidat(e )s mal intentionné( e)s.

On est étrangement bien côtés sur le marché de la fesse comme dirait Lino Ventura, quand on divorce. Cela doit dégager quelque chose de sulfureux parce que j’en rigole avec mes amis hommes autant que femmes dans cette situation il y a un changement radical du regard d’autrui sur vous, un genre d’effervescence dans le récent célibat. Mais si vous avez bossé sur vos paradoxes, l’univers vous enverra quelqu’un d’aligné, cohérent, quelqu’un qui comme vous s’est déjà planté et qui sait ce qu’il ne veut plus rater. Quelqu’un qui est assez costaud au-dedans pour exprimer la gratitude. Il en faut de la maturité pour dire merci d’exister à quelqu’un. Les ados ne savent pas faire un compliments. Et le divorce nous oblige à sortir de l’adolescence affective. Certains résistent bien, mais ils vont à nouveau se planter jusqu’à ce que la leçon soit intégrée. C’est le côté sadique et entêté de la vie.

La confiance et la communication mettent du temps à se construire mais l’amour est là ou pas immédiatement. On sait tout de suite qui on peut aimer. Reste à définir le comment. L’engagement n’est pas forcément nécessaire. Ou plutôt l’engagement ne prend plus forcément la même forme qu’avant. Et il faut l’imposer cette liberté, car il y a des hommes qui n’aiment pas que leur femme plaide ou consulte, dirige ou écrive, qu’elle soit indépendante et qu’elle voyage. Ils se sentent rejetés. C’est ainsi. Et des femmes qui ne supporteront pas, mes amis, que vous ayiez vos espaces où elles n’ont pas de place. Ils sont insécures. Et on ne peut pas aimer tranquillement et faire le voyage du lien affectif en étant insécure. Pourtant aimer, c’est un voyage. En pensée comme dans le peau-à-peau.

À vous qui divorcez j’ai envie de dire que vous êtes sur un tronçon de la route difficile mais fructueux. Patientez beaucoup et prenez soin de vous. Entourez vous de ceux qui restent sans juger, rigolez, pleurez, dansez, voyagez, dormez, mangez et embrassez qui vous voulez. Demain est un autre jour. Vous ferez le même constat que moi. Je vous le souhaite, il est émouvant, un peu sensible mais pas triste.

La séparation permet à chacun de mûrir  et de se séparer, au passage aussi, de certains de ses défauts. C’est un moment de nettoyage où on peut faire un tri plus large. Aujourd’hui, donc vous y arriverez aussi, nous nous parlons tous les jours, nous rions ensemble, nous discutons de ce dont notre fils a besoin ou de ses difficultés, nous nous envoyons des photos, nous prenons l’avis de l’autre, nous nous répartissons les domaines de compétence, nous nous concertons. Un divorce réussi vaut mieux que dix mariages ratés. Ou tout le monde ment et tout le monde rétrécit.

Transformer l’amour conjugal en respect et en amour oblatif : « parce que je t’ai aimé je te veux heureux avec une autre » n’est pas une insulte c’est une forme détachée et consciente d’ amour. Les couples qui restent ensemble pour les apparences ne peuvent pas en dire autant et je suis heureuse de pouvoir dire à mes amis qui divorcent qu’il y a des divorces réussis et qu ils peuvent se faire confiance. Je crois qu’au fond nous nous sommes bien sûr détestés pendant quelques années mais nous n’avons jamais cessé de nous faire confiance en tant que parents et nous n’avons jamais oublié ce que nous avions partagé. N’oubliez jamais d’où vous revenez, pour ne pas répéter la violence, mais jamais non plus d’où vous venez. A moins d’être tombé sur une grande manipulatrice destructrice et narcissique comme l’un de mes amis, vous n’aviez pas tout faux. Ce n’est pas parce que c’est fini que c’est une erreur.

Je sais combien nous nous sommes aimés. Je n’avais pas des papillons dans le ventre mais nous étions solides. Il y avait de l’amitié dans notre amour et de la complicité. Il m’a aimée quand j’étais handicapée de l’affect et c’est un mérite. Nous étions forts et heureux. Et puis il a fallu arrêter l’histoire pour continuer d’évoluer mais cette mort symbolique n’annule en rien la beauté de ce qu’on a partagé et notre fils en est un fruit merveilleux. Je n’ai aucun regret que ce soit arrivé et aucun que ce soit terminé. Le sentiment amoureux n’est pas tout dans l’amour. Il faut avoir l’humilité d’arrêter à temps plutôt que racornir et le reprocher à l’autre pendant 55 ans.

Et à partir de cette paix on peut à nouveau vivre la jeunesse de l’amour. Regarder l,autre, me perdre quelques secondes dans ses yeux, le laisser me surprendre et me faire rire, le laisser prendre soin de moi, et réaliser que je suis à nouveau dans un désir d’enfant alors que je pensais ne plus vouloir faire ce cadeau à aucun homme.

Et un de mes amis me dit la même chose « Elle me redonne des envies de bébé, elle est tout le contraire de la mère de mes enfants qui était un clone de ma mère. Avec elle tout est simple, elle mord la vie à pleine dents». Une amie a cinq enfants trois de son premier, deux de son deuxième mari. Ce sont des aventures folles et merveilleuses qui valent infiniment la peine d’être vécues.

Personne ne vous encouragera car c’est abyssal, à l’heure du principe de précaution mais où va-t-on. Il me redonne des envies de bébé, une énergie du nid moi qui était si bien toute seule. Et on peut aimer un homme sans avoir cette envie-là, il y a un tas d’hommes merveilleux qui m’apprennent des choses sur moi à travers nos relations amicales ou professionnelles, thérapeutiques (les psys se soignent aussi) ou pédagogiques dans des formations, des belles rencontres d’âmes parmi un tas de mondanités mais  ce que je partage avec eux se suffit, cela ne déclenche pas d’envie de s’engager. L’amour n’a pas besoin d’un cadre et parfois l’officialiser est redondant. Je ne crois pas qu’on puisse être en couple avec son âme sœur, ça ne tient pas dans le format conjugal ces choses-là. Je l’ai toujours pensé, j’ai rencontré des âmes sœurs, je n’ai jamais eu envie de vivre avec. Le bonheur ce n’est pas d’épouser une âme sœur, c’est d’épouser quelqu’un de différent de soi. Cette envie-là peut revenir après un divorce douloureux. Même chez les plus sauvages d’entre nous, les solitaires qui voyagent seuls, les petits animaux qui aiment les grands lits vides comme moi. Alors n’ayez pas peur. Le divorce est un événement douloureux et coûteux qui reste une fracture dans une vie. Mais c’est aussi une naissance, une délivrance, une libération indispensable pour ne pas mourir à soi quand l’autre reste au niveau de l’amour captatif sans s’ouvrir à l’amour inconditionnel.

Je vous souhaite de pouvoir écrire un jour : j’ai aimé mon mari / ma femme et j’ai aimé mon divorce. « J’étais fou d’elle et c’est une femme formidable mais nous ne savions pas nous aimer ». Il faut aimer les choses pour les transformer. Et vous cicatriserez. Lâchez déjà la blessure de l’ego, l’image sociale. On s’en fout. C’est de la self inflicted pain. Ce que les autres pensent n’a aucune importance. Ce qu’ils ressentent oui, bien sûr il faut le respecter mais leurs idées sur le mode d’emploi de votre bonheur, ne parle que d’eux, et sûrement pas de vous. Quand on divorce on dérange tous ceux qui n’osent pas et sont jaloux de notre liberté. Ça en fait un paquet. Alors respirez et écoutez Mika, les amis vous en retrouverez, sur un plan de conscience augmenté. Et si vous êtes largués, allez où votre coeur vous porte, mais pas vers le passé.

Le divorce fragilise puis renforce. Il n’y a pas coupable ou de victime. Il y a une relation qui ne fonctionne pas. C’est tout. C’est laconique mais vrai. Pas la peine de trouver des excuses ou des fautifs. Ce n’est pas grave. Il ne faut pas en tirer des généralités sur vous, sur le couple ou sur l’autre sexe. Tous les essais ne sont pas transformés. Basta punto.

Le divorce m’a permis de re-choisir en conscience qui mettre au centre de mon chemin de vie, pour mon fils et pour moi. Prenez votre temps car vous ne pourrez pas présenter un nouveau conjoint à vos enfants tous les six mois. ils peuvent se construire avec un divorce, c’est un permis de se désengager et une autorisation à recommencer, ça désidéalise le couple parental inégalable, ce n’est pas forcément mauvais. Mais ensuite, il faut tenir au moins 7 ou 8 ans. Sinon ils sont chamboulés, sans repères. Le lien affectif ne peut être toujours précaire.

Le divorce est une épreuve, un passage, une initiation parfois pour savoir de quoi aussi en soi on doit se séparer.

Et moi je vous dis que votre divorce est peut être le premier jour du reste de votre vie. Je ne vous souhaite pas de divorcer. Mais si cela arrive considérez -le comme une naissance. Il faudra faire beaucoup de deuils. Celui de l’orgueil, celui du regard social, celui des illusions, notamment, pas seulement. Utilisez votre colère pour désaimer mais n’allez pas dans la haine. Vous vous faites du mal à vous-mêmes. Comme une naissance est un grand tri pour faire place au nouveau-né. Vous êtes le nouveau-né. Aimez-vous beaucoup pour aimer beaucoup l’autre et lui permettre de vous aimer, sans être gagné par la peur ou la honte, ces émotions qui dirigent les relations et dont on ne parle jamais.

Marie-Estelle Dupont

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